Comment utiliser en classe les livres jeunesse abordant le sport? En prolongement de l’exposition «J’ai pas dit « Partez! »» dont elle était l’une des commissaires, Yvanne Chenouf, ex-institutrice et animatrice Usep, pédagogue, enseignante en IUFM et militante de l’Association française pour la lecture (AFL), délivre quelques conseils à ses jeunes collègues.

Yvanne Chenouf, vous qui avez enseigné en maternelle et en élémentaire et intervenez au collège avec l’Association française pour la lecture, quels conseils donneriez-vous à vos collègues enseignants pour traiter de sport, ou d’autres sujets, à travers la littérature de jeunesse ?

Si j’ai un conseil à donner aux collègues, aux parents et à tous les éducateurs, c’est d’être eux-mêmes lecteurs. Les enfants nous imitent davantage qu’ils ne nous écoutent, c’est pourquoi faire vivre la lecture dans le quotidien est le meilleur moyen de les entrainer. J’invite aussi à relire le manifeste de Peuple et Culture. Élaboré après 1945, il reste la pierre angulaire de l’éducation populaire et il y est dit que « la lecture nait de la vie pour y retourner ». Cela signifie que pour un enfant comme pour un adulte, la lecture prend tout son sens lorsqu’elle fait écho à la réalité vécue. C’est pourquoi, lorsque j’enseignais à l’IUFM1 de Livry-Gargan, je venais tous les matins avec dans ma valise une quinzaine de livres liés à l’actualité de la classe, de la France ou du monde. Cela fait peut-être « ancienne combattante », mais les instructions de 2002 en matière de lecture, sous Jack Lang ministre de l’Éducation nationale, étaient excellentes. On a reculé depuis.

Et plus concrètement ?

Je proposerais de mener tout d’abord un « travail structurel » de présentation de livres, en associant lecture et débat. Je déteste le slogan « Silence, on lit ! » et l’idée d’envoyer les gamins camper au CDI après la récréation pour y lire religieusement durant un quart d’heure. Non, la lecture est échange ! Viendrait ensuite un « travail conjoncturel » où un livre viendrait accompagner les activités propres à chaque enfant. Faire lire un livre de foot aux footeux et footeuses, de danse aux danseurs et danseuses, afin de relier la lecture à ce qui les concerne. Avec l’Association française pour la lecture (AFL), nous allons par exemple dans les clubs sportifs. Il ne faut pas cantonner la lecture aux bibliothèques mais l’amener aussi là où les choses se passent. Cela renforce le processus d’identification, les enfants marchent à fond là-dedans. D’ailleurs ce qui manque en littérature de jeunesse, du moins pour les écoliers car au collège c’est plus riche, ce sont les autobiographies de champions et championnes. C’est pourquoi à l’AFL nous travaillons avec des enfants pour qu’ils expriment ce qu’ils ressentent lors d’une course ou d’un match, en s’inspirant du recueil de nouvelles Les Athlètes dans leur tête, de Paul Fournel.

Et quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui viendrait visiter l’exposition « J’ai pas dit « Partez ! » » avec sa classe ?

Celui de ne pas montrer tous les panneaux à la suite les uns des autres mais d’établir des passerelles, par exemple entre « Champions en titre », qui repose sur le rêve de devenir un grand sportif, et « Sport et engagement », à la dimension sociale historique. On peut aussi demander aux enfants d’identifier les métiers qui gravitent autour des sportifs sur les images, ou de s’intéresser au public et à ses réactions.

L’une des veines de la littérature jeunesse consiste à aider l’enfant à vaincre ses appréhensions, et notamment la peur de l’eau. Cela a-t-il un impact ?

Comme le dit Christian Bruel, auteur de L’aventure politique du livre de jeunesse, aucun livre n’est remboursé par la Sécurité sociale. Autrement dit, la lecture n’est pas directement thérapeutique. Mais oui, dédramatiser l’eau et l’environnement de la piscine revient souvent dans les albums pour tout-petits. Et, au-delà, dans la mesure où la littérature jeunesse met des mots sur les choses, elle favorise les remaniements intérieurs, les petits déplacements qui, peu à peu, provoquent des mutations. Parler ensemble avec les autres enfants à partir d’une même histoire est également très productif.

Quel est alors le rôle de l’éducateur, et en particulier de l’enseignant ?

Il est tout d’abord d’engager par son charisme les enfants dans l’activité, puis de leur apporter des informations quand elles sont nécessaires, et de les inviter ensuite à discuter et réfléchir sur l’action et ses représentations. J’ajouterai la notion d’entraînement. Comme dans le sport, il n’y a pas d’activité intellectuelle réussie sans entraînement, c’est ce qu’à l’AFL nous nous efforçons aussi de faire comprendre aux enfants.

(1) IUFM : Institut de formation des maîtres, remplacé depuis par l’Inspé, Institut national supérieur du professorat et de l’éducation.

 

Dix recommandations aux adultes pour rendre les enfants lecteurs

1.Lire une histoire (ou un extrait) chaque jour. Relire !

2.Choisir des livres qui concernent les enfants, afin qu’ils puissent s’identifier.

3.Associer les lectures scolaires aux lectures familiales, pour que les enfants deviennent critiques par comparaison et qu’ils osent affirmer leurs goûts en argumentant.

4.Choisir des textes qui vous parlent et sur lesquels vous avez des choses à dire.

5.Ne jamais baisser la garde. Choisir des titres ambitieux avec une langue soutenue : ce n’est pas incompatible avec les lectures populaires.

6.Débattre, constamment, et accepter tous les points de vue (non condamnés par la loi bien sûr).

7.Inviter les enfants à écrire à partir de leurs lectures : carnets de notes, carnets de lecture, écritures personnelles et créatives.

8.Ne pas hésiter à faire intervenir la littérature dans toutes les disciplines.

9.À l’école, faire acquérir des outils d’analyse par l’étude, l’entraînement, sans nier les subjectivités.

10.N’oublier ni la poésie ni le théâtre.