Leurs bateaux n’étaient pas encore arrivés en Martinique, mais après trois semaines de Transat Jacques-Vabre elles tiraient déjà le bilan de l’aventure vécue avec leurs élèves. Trois enseignantes des Deux-Sèvres, de la Creuse et des Yvelines racontent comment elles ont utilisé la course virtuelle et le partenariat avec la FFVoile pour construire une dynamique de classe, sinon d’école. Quant aux associations marocaines, la course appuyée sur la plateforme VirtualRegatta est aussi un lien avec la grande famille de l’Usep.
« J’apprends en même temps que mes élèves »
Christelle Granier est enseignante de CM1 à l’école François-Dallet de La Mothe-Saint-Héray, près de Niort (Deux-Sèvres)
« Quand j’ai découvert cette course virtuelle dans le catalogue Usep, j’ai voulu innover. Moi qui aime beaucoup la mer, j’avais envie de faire découvrir aux enfants un milieu dont ils ne sont pas familiers. Mais je suis novice, j’apprends en même temps qu’eux ! Cela m’a donné quelques sueurs froides au moment de créer le bateau. Heureusement, un collègue niortais plus expérimenté m’a tirée d’affaire. Le seul problème, c’est qu’au lieu de nous appeler Les Alizés, nous sommes identifiés comme « guest 878 ». C’est plus impersonnel, mais nous sommes dans la course !
On fait le point matin et soir et j’utilise beaucoup le kit pédagogique du site du bateau de Samantha Davis, Initiative Cœur. J’ai agrandi une carte où chaque jour nous collons une étiquette avec la position du bateau. Savoir où nous en sommes au classement est une excellente façon d’aborder les mathématiques : à l’heure où je vous parle, nous venons de virer de bord à 180°, direction la Martinique, après avoir dépassé sans trop nous en apercevoir la bouée de l’archipel Fernando de Noronha. Du coup, nous avons dégringolé de la 33 344e à la 47 527e place. Ce qui nous fait combien de perdues ?
Le vendredi d’avant les vacances, nous nous sommes mis dans le bain avec l’escape game de la Transat, qui d’ailleurs s’est révélé trop long pour mes élèves de CM1. Et moi qui craignais que cette présentation arrive un peu comme un cheveu sur la soupe, le lundi de la rentrée j’ai eu la surprise de découvrir que certains enfants avaient engagé leur propre bateau. On compare les positions avec le bateau de la classe et ils me font parfois découvrir des fonctionnalités !
Ce que je retiens surtout de cette première expérience, c’est le caractère très concret des apprentissages. Les enfants ont une meilleure représentation de ce qu’ils font avec ce support du bateau, de la régate. Il y a de l’affectif, c’est pour eux un challenge et ils s’investissent complètement. Les repérages sur la carte, les méridiens, la longitude et la latitude, ça leur parle, alors que lorsqu’on aborde ces notions de manière décrochée, cela reste abstrait. »
« Une fenêtre sur le monde »
Isabelle Barraud est directrice de l’école d’Ars, près d’Aubusson (Creuse), où sa classe réunit 19 CE2-CM1-CM2.
« L’expérience vécue l’an passé avec le Vendée Globe m’a convaincue de rembarquer avec mes élèves, qui pour les anciens ont conservé leurs acquis sur la connaissance des vents, du vocabulaire marin et des savoirs en géographie. La voile est pourtant complètement extérieure à leur environnement, et même si le lac de Vassivière n’est pas très loin, certains n’ont jamais vu la mer.
Eux qui appartiennent à une petite école à deux classes, au cœur d’un village d’une quinzaine d’habitants, prennent conscience qu’ils font partie le temps d’une course d’une immense communauté. On monte, on descend au classement, et quelle fierté ça a été quand nous sommes remontés de la 72 millième à la 45 millième place ! Le passage du pot au noir, qu’ils avaient appris à connaître l’an passé, s’est révélé délicat. « Maîtresse, tu n’aurais jamais dû passer par là ! » Ce à quoi j’ai répondu : « Mais c’est vous qui l’avez décidé ! » Car tous les matins, c’est tous ensemble que l’on décide de la route devant le vidéo projecteur.
L’an dernier, au fil des jours beaucoup d’enfants avaient fini par engager leur propre bateau et on comparait les différentes positions. Sur cette Transat c’est toujours le cas, puisqu’ils 11 sur 19 l’ont fait. Les résumés de course chaque soir à la télé dans « Tout le sport », ça aide à rentrer dans la Transat réelle. Et même si l’épreuve est moins médiatisée que le Vende Globe, cette course virtuelle est pour nous une fenêtre sur le monde et une bonne manière d’acquérir de nouveaux savoirs et compétences. »
« Une dynamique d’école »
Anaïs Willocq, enseignante de CM1, a entraîné dans son sillage la quasi-totalité de l’école Montaigne de Poissy (Yvelines).
« Moi qui suis Bretonne d’origine et ai l’expérience de la voile en famille, j’ai suivi la Route du rhum avec ma classe il y a 3 ans, avant de repartir l’an passé sur le Vendée Globe dans le cadre d’un projet pédagogique autour du voyage. Et cette année, toute l’école est sur le pont : du CP au CM2, 13 classes sur 15 sont engagées dans la course de l’Usep, alors même que l’association a tout juste deux ans. Cela créé du lien entre les classes, à travers une rivalité bon enfant mais très stimulante.
Nos élèves ne sont absolument pas familiers du milieu marin, mais l’interface du jeu permet de bien comprendre l’évolution des masses d’air. Comme lorsqu’il a fallu choisir entre longer les côtes africaines ou passer à l’ouest des Açores. La bonne option, c’était l’Afrique… La course rend les apprentissages très concrets, notamment la découverte du monde, qui figure au programme du cycle 2. En cycle 3, on travaille le vocabulaire des cartes, le planisphère, les continents. Cela permet d’aller au-delà de ce qu’on trouve dans les manuels.
Nous sommes en Rep+, nos enfants ont un horizon très urbain, et cette course les éveille à un tout autre environnement. Et puisque l’appétence pour la voile se confirme au sein de l’école, l’idée est que cela puisse déboucher sur une découverte réelle de la voile. Il existe une base nautique pas très loin, à Verneuil-sur-Seine. Nous réfléchissons au moyen de subventionner des classes de découvertes, car nos enfants sont issus de familles très modestes. Il y a aussi l’écueil du certificat d’aisance aquatique : il faudra organiser auparavant des cycles de piscine… C’est une vraie problématique, mais aussi un beau projet. »
Les Marocains dans la course
Président de l’Usep Maroc, Pierre-Emmanuel Boccard enseigne auprès de CM2 de l’école française Claude-Bernard de Casablanca.
« La course virtuelle nous permet de participer à un événement avec la grande famille de l’Usep et d’entretenir un lien qui, pour mon école de Casablanca, passe également par la labélisation Génération 2024, grâce au partenariat entre l’Agence de l’enseignement français à l’étranger (AEFE) et Paris 2024. C’est aussi un lien avec les autres écoles de Casablanca et celles de Rabat et Tanger, alors que les mesures anti-Covid empêchent les rencontres communes. Ce contexte explique une moindre participation – une dizaine de bateaux – qu’au Vendée Globe, qui avait suscité un très fort engouement.
À Casablanca par exemple, les classes ont été divisées en trois groupes de 18 élèves que je retrouve chaque jour par tranches de 2 h pour leur enseigner l’histoire-géo et les sciences, tandis qu’un collègue s’occupe des maths-français et d’autres intervenant des activités culturelles. Du coup, nous avons engagé trois bateaux, avec un point météo en début de séance. La plupart des élèves ont participé au Vendée Globe l’an passé, ils sont rodés, et certains ont créé leur propre bateau.
Côté scolaire, l’arrivée en Martinique offre l’occasion d’aborder le commerce triangulaire et la colonisation, ce qui nous permettra ensuite de rebondir sur la décolonisation, qui est au programme de CM2, avec un écho particulier dans un territoire qui fut un protectorat français. Côté course, le premier bateau est dans les 30 millièmes et les autres naviguent entre les 60 et les 70 millièmes. Les choix de route ont été différents mais l’écart est surtout dû à l’engagement des élèves. Quand il n’y a pas classe, l’un d’eux est chargé d’opérer ces choix. Or certains volontaires se sont endormis à la barre et ont laissé dériver le navire… Le bateau qui menait notre trio s’est ainsi échoué aux Açores et il a été difficile de le faire repartir. Mais ça responsabilise : la voile, même virtuelle, ce n’est pas que de la technique, c’est aussi de l’humain ! »