Ces dernières années, en Ille-et-Vilaine, la dynamique du P’tit Tour était retombée. Elle est relancée en 2021 avec six étapes départementales. Jeudi 20 mai, à l’issue de la première, 50 élèves de cours moyen de l’école Duguesclin de Fougères ont parcouru 35 km aller-retour et ainsi validé le 3e bloc du Savoir Rouler à Vélo. Récit d’une journée mémorable qui en appelle d’autres.
8h30. La vaste cour de l’école Duguesclin de Fougères1 bruisse de l’effervescence des grands jours. Des enfants font regonfler leurs pneus ou finissent d’ajuster le casque marqué de leur prénom. Les mains au guidon et le pied déjà sur la pédale, Maxime, licencié dans un club de VTT, fanfaronne. Mais sa voisine, Rose, confesse : « J’ai un peu peur d’y aller. » Combien ressentent-ils la même boule au ventre à l’idée de s’élancer pour 35 kilomètres aller-retour ? La plupart n’ont jamais pédalé sur une telle distance. Pour les enseignants aussi, c’est une première, née de l’initiative de Fabien Daniel, géologue reconverti professeur des écoles, qui a entraîné dans l’aventure son alter-ego Christine Le Calvez, en charge de l’autre CM1-CM2. « Il y avait autrefois des sorties à vélo, mais cela remonte à plus de vingt ans2 » se souvient leur ex-collègue Viviane3, à la retraite depuis l’an passé mais présente comme accompagnatrice, ainsi que son mari, Didier, et leur ami Philippe, ancien éducateur cycliste.
9h. Dans le sillage de Valérie Goujard, énergique directrice, le premier groupe franchit le portail, passe un carrefour très fréquenté puis s’engage sur la voie verte qui passe près de l’école. Les enfants ne s’en écarteront pas avant la mi-journée. L’étape a beau avoir été préparée par des ateliers du jeudi après-midi4, l’équipe enseignante est néophyte dans ce genre de randonnée cyclotouriste. Pour une première, va donc pour la voie verte aménagée sur le tracé d’un ancien chemin de fer, avec à mi-chemin une échappée de trois kilomètres sur la voie publique afin d’être dans les clous du Savoir Rouler à Vélo.
10h. Circuler sur une voie protégée n’exonère pas des règles de sécurité, à commencer par le respect des distances et le fait de tenir sa droite, surtout quand on croise des piétons et leur chien ou d’autres cyclistes, surpris de croiser un peloton si juvénile et si fourni. Il convient aussi de ralentir à l’approche des intersections, si possible en remuant la main comme un oiseau bat de l’aile afin de prévenir ceux qui viennent derrière. Il a aussi été décidé de mettre pied à terre pour traverser les routes, même si la circulation est bloquée par la brigade volante formée par l’éducateur départemental de l’Usep et la fille de la directrice, qui trouve là à occuper quelques jours de vacances étudiantes. Ah, si les passages à niveau fonctionnaient encore… C’est le rêve caché de Soan, « passionné d’histoire » et intrigué par ces vestiges d’un passé ferroviaire : gares désaffectées, silos abandonnés, rails à demi enfouis dans le sol… Avec en prime le bonjour de la garde-barrière, au garde à vous sur le seuil de sa porte.
10h30. Jusqu’à présent tout va bien. Juste quelques réglages complémentaires : passer sur le grand plateau pour moins mouliner ou remonter une selle trop basse sur laquelle on s’épuise. Ça va tout de suite mieux, n’est-ce pas Clovis, Naomie et Céline ? La pause pâte de fruits au bord de l’étang de Dompierre-du-Chemin est néanmoins la bienvenue. On s’y inquiète de la petite Cyrène, lutin de 9 ans et demi qui, il y a deux mois, ne tenait pas en équilibre sur un vélo : « J’avais oublié comment on faisait. » Au fil de la journée, la fragile brindille se révèlera un monstre d’endurance au coup de pédale fluide et léger.
11h30. En arrivant au camping de Châtillon-en-Vendelais, nul ne se fait prier pour déballer son pique-nique. Sitôt requinquée, une première moitié des enfants prend la direction du centre-bourg. Juste un tour de village de 1 700 habitants, mais quel dénivelé ! Passe encore le premier raidillon mais, au second, même les plus habiles manieurs de dérailleur mettent pied à terre. Châtillon somnole, mais entre voitures et tracteurs ça circule quand même. La raide descente offre pour finir l’occasion de doser son freinage. Les enfants enchaînent ensuite avec un débat associatif sur les mobilités douces et la préservation de l’environnement. Pas le temps de se prélasser sur l’herbe, sauf pour ceux qui prêtent leur corps alangui au second atelier sur les « gestes qui sauvent ».
13h30. Le peloton repart, le cœur léger. Les enfants ont pris confiance et le train est rapide. Céline, la maman accompagnatrice qui ouvre la route, a la cheville vigoureuse et le vent souffle dans le dos, l’imperceptible faux-plat est descendant et le soleil de la partie. Même Mhao, victime d’un sérieux « coup de moins bien » en fin de matinée, s’est mué en une imperturbable mécanique. En fin de convoi, Sasha et Elliot suivent le rythme d’un air détaché : « On aime bien, c’est tranquille. »
15h25. De retour à l’école, place à une distribution de pruneaux et au recueil des premières impressions. En résumé, c’était « dur, mais pas trop » et tous sont prêts à remettre ça l’an prochain. Les enseignants et les accompagnateurs bénévoles aussi, en empruntant les petites routes cette fois. « Et pourquoi ne pas retrouver à mi-chemin des classes venues de Vitré ? », suggère le délégué départemental, Clément Venet, qui d’intersection en intersection a suivi l’étape en voiture. Fabien Daniel rêve pour sa part d’emmener ses élèves au Mont-Saint-Michel : cent kilomètres sur trois jours et deux nuitées, afin d’avoir le temps de visiter. L’achat par la mairie de Fougères5 d’un parc de vélos supplémentaire à l’intention des écoles ne pourra que faciliter le projet, et même en inciter d’autres à s’engager dans le P’tit Tour, fortes de l’expérience des pionniers de Duguesclin. Le tout en s’inscrivant suffisamment à l’avance pour recevoir la dotation de chasubles fluorescents…
15h45. C’est l’heure de la visioconférence avec les enfants de Bains-sur-Oust, tout là-bas à l’autre bout du département. Le 24 juin, ceux-ci participeront à la deuxième étape du P’tit Tour Usep en Ille-et-Vilaine, cinq jours avant que ne soit donné depuis leur village le départ réel de l’étape du Tour de France, le grand, entre Redon et Fougères. Et d’emblée ils demandent : « Pouvez-vous nous raconter votre journée ? » Ils sont marrants, les copains et copines de Bains-sur-Oust : comment résumer en quelques mots une telle équipée ? En plus, le vent parasite le son et on ne s’entend que par bribes. Reste l’image : les enfants se saluent à grands gestes. C’est suffisant pour comprendre le sens de ce passage de relais, souligné par les messages accrochés en guirlandes au vélo-totem qui sera exhibé à chaque étape. Demain, dans d’autres cours d’écoles, d’autres enfants de l’Usep prendront comme eux la route du P’tit Tour.
(1) L’école Duguesclin compte 212 élèves et est affiliée à l’Usep de longue date.
(2) Hors période Covid, dans le cadre de la liaison CM2-6e des ateliers vélo communs sont toutefois organisés au collège.
(3) Viviane Prioul est également élue départementale de l’Usep.
(4) Équilibre, maniabilité, connaissance de l’engin et éducation à la sécurité routière.
(5) Avec son centre-ville perché, Fougères fut une municipalité pionnière en matière de promotion du vélo à assistance électrique, avec l’achat dès 2012 de VAE en location-vente. Un engagement récemment reconnu par l’obtention du label Ville à vélo.