Réfléchir durant toute une journée au sens du mot laïcité, à travers des ateliers abordant différentes facettes du vivre ensemble : c’est ce à quoi étaient conviés les élèves d’une école de la banlieue de Tours, à l’initiative de l’équipe enseignante et de l’association Usep.
« Je me pose des questions sur les différentes religions. Ai-je le droit d’en parler à l’école ? Pourquoi ? » Parmi la dizaine d’enfants de 6 à 11 ans, penchés avec la maîtresse sur un jeu de l’oie, les avis sont partagés, et les arguments difficiles à trouver. « Oui : je peux m’interroger sur l’histoire, sur les religions, cela fait partie de la culture du monde », tranche finalement Matis, intronisé « maître du jeu », en lisant la réponse sur la feuille glissée sous son coude. Toutes font directement référence à un article de la Charte de la laïcité : celle-là même qui, avec ses blocs de couleur bleu et rouge sur fond blanc, est affichée à l’entrée de l’école.
Puis un autre enfant jette le dé, et une nouvelle question vient relancer le débat : « Un élève a-t-il le droit de dire en classe : « Ma religion me l’interdit » ? » « Oui », s’exclame Fabiano. « Non, répond une fillette à ses côtés. Même si sa religion lui interdit, on est l’école, pas à la maison. » « Mais alors, on risque d’attraper des péchés, s’inquiète Amel. La religion, c’est plus grand que l’école, c’est plus important. » « Non, on n’est pas obligé. Et, à l’école, le plus important, c’est de bien travailler », affirme Marouan en surjouant un peu le bon élève. « Non, les programmes de l’école sont obligatoires pour tout le monde », conclut Matis en donnant la réponse à l’invitation de la maîtresse.
Plus loin dans le jeu, au gré du sort des dés, il sera aussi question du droit de parler arabe à l’école – non pour parler mal en cachette, mais oui fêter un anniversaire –, du port des signes religieux, du respect des différences et de l’égalité des droits des citoyens dans un pays républicain.
Situations concrètes
« Pour les élèves, et surtout pour les petits de CP et de CE1, la laïcité est un concept abstrait, soulignent Sophie et Grégorine, enseignantes à l’école élémentaire Henri-Wallon de Saint-Pierre-des-Corps (37). Pour l’aborder, nous commençons par présenter un extrait de la vidéo proposée par le ministère. Nous montrons ensuite l’affiche de la Charte de la laïcité, en lisant les premiers articles. Nous demandons aussi aux enfants de citer les religions qu’ils connaissent, et les signes qui les identifient : la kippa et l’étoile juive, la croix chrétienne, le croissant et la main de Fatma, bouddha… Puis nous passons au jeu de l’oie, que nous avons créé en piochant sur internet et en nous inspirant de situations auxquelles nous avons pu être confrontées en tant qu’enseignantes. »
Ces situations, dans cette école classée « réseau d’éducation prioritaire + » et où une majorité des 175 élèves est issue de familles immigrées de culture musulmane, c’est par exemple un enfant qui, lors d’une randonnée patrimoine, se refuse à pénétrer sous les voûtes gothiques de la cathédrale de Tours. Ou cet autre qui rechigne à commenter l’image d’un livre d’histoire parce qu’on y voit une croix. Ou bien encore ce garçon qui, pour faire l’intéressant, lance un sonore « Allah Akbar » lors d’une sortie au cinéma. Il en fut quitte pour une explication de texte personnalisée, assorti d’une exclusion d’une journée.
À l’initiative de l’Usep
Adressée en début d’année scolaire à toutes les associations Usep, l’invitation à fêter les 30 ans du comité et les 80 ans de la fédération en organisant une journée de la laïcité est donc tombée à pic. Car, dans l’école, tous les enfants sont licenciés. « Le but était aussi de faciliter l’échange et le respect entre les enfants lors des rencontres sportives, notamment lorsqu’elles brassent des classes de banlieue, de centre-ville ou de la ruralité » explique Marie Parat, professeure des écoles à Henri-Wallon et présidente départementale de l’Usep.
Chaque association d’école avait entière latitude pour personnaliser la journée-type proposée par l’Usep. À Henri-Wallon, outre les ateliers sur la laïcité, l’égalité fille-garçon, le handicap et l’éco-citoyenneté, les enfants ainsi ont pris le pinceau sur le thème de l’olympisme, et pratiqué le frisbee-ultimate, le « parachute », la course équitable et le football coopétitif. Des sports parfaitement dans l’esprit d’une journée pour laquelle l’équipe enseignante avait sollicité le renfort d’animateurs d’activités périscolaires, et de jeunes en service civique d’une association de sensibilisation au respect de l’environnement.
Pour renforcer le lien avec les familles, un « café des parents » était également proposé en début de journée, organisée le 20 décembre, à la veille des vacances. Parmi la vingtaine de mamans présentes, un tiers sont ensuite restées et ont discrètement suivi les ateliers, à côté de leur enfant.
Former les citoyens de demain
À en croire le sondage que constitue la « réglette des émotions » de l’Usep, la plupart des enfants ont beaucoup particulièrement apprécié cette journée pas comme les autres, « qui favorise le vivre ensemble et améliore le climat scolaire », comme le souligne la directrice, Cristina Castagnetti. Le sentiment du visiteur qui découvre l’école, l’espace de ces quelques heures, est celui d’une bonne humeur ambiante, voire d’une certaine légèreté.
Pour autant, est-ce bien le rôle de l’Usep, fédération sportive scolaire, de susciter une journée d’ateliers sur le thème de la laïcité ? « Bien sûr, estime Marie Parat. C’est une autre façon de faire vivre l’association, à côté des rencontres sportives, et en cohérence avec notre mission de former les citoyens de demain. »