La mixité en EPS et dans le sport scolaire, c’est bien. Mais ce n’est pas une condition suffisante pour garantir un égal accès des filles et des garçons aux pratiques physiques et sportives, explique Sigolène Couchot-Schiex, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Paris-Est Créteil.
Sigolène Couchot-Schiex, « l’égalité filles-garçons » était le thème de la Journée nationale du sport scolaire, et « la mixité » sera celui de la Semaine olympique et paralympique. Cela traduit-il un souci particulier de la part de l’Éducation nationale ?
Oui et non. La préoccupation est ancienne. Ce qui est nouveau, c’est le souci de changer les pratiques, au-delà des déclarations ou des prescriptions officielles. Oui, il faut plus de mixité, au sens d’une égalité effective, mais comment fait-on ?
On pourrait considérer que, dans l’EPS et le sport scolaire du 1er degré, la mixité va de soi. Or dans l’ouvrage sur Le genre que vous avez coordonné pour les éditions EPS, on lit : « La mixité est une condition de l’égalité, elle n’implique pas l’égalité. » Comment faire pour y parvenir ?
Il faut mettre en place les conditions d’un égal accès des filles et des garçons à toutes les pratiques, et à tous les niveaux de pratique. Or, comme pour tout individu, la société a appris aux enseignant.es à se comporter en tant qu’hommes et femmes. Il faut lutter contre ses propres repères. C’est précisément l’objet de l’item sur l’égalité femmes-hommes qui figure dans le tronc commun de formation défini en 2013 par la loi de refondation de l’école : donner à comprendre aux futurs professeur.es des écoles ces mécanismes sous-jacents, souvent invisibles et insidieux, afin d’être en mesure de proposer des pratiques physiques et sportives accessibles à toutes et tous.
Face à l’inégalité filles-garçons que l’on observe dans l’expérience, et donc la maîtrise, des activités physiques et sportives, les enseignants proposent souvent des activités neutres, non sexuées, non connotées, afin que toutes et tous partent « à égalité ». Est-ce la bonne réponse ?
C’est une possibilité, mais cela ne suffit pas. Se priver d’activités considérées comme masculines ou féminines revient à empêcher les filles qui le souhaiteraient de pratiquer ce sport de ballon très populaire qu’est le football, et à interdire aux garçons d’expérimenter cette forme d’expression corporelle qu’est la danse. Cela conforte des formes d’interdiction, d’auto-censure, par soi-même et par le contrôle social. Donc ça ne résout pas tous les problèmes.
On peut aussi mentionner le rugby : à l’Usep, les filles s’y investissent autant que les garçons, et souvent s’y révèlent…
Oui. Et, à l’inverse, je me souviens d’un échange en classe autour de l’équitation. Un garçon se moquait d’une fille qui pratiquait le poney : « Ah-Ah, le poney, c’est pour les filles ! ». Sous-entendu : « C’est nul. » La maitresse a très bien réagi en demandant : « Pourquoi le poney serait-il réservé aux filles ? Et toi, tu n’aimes pas les animaux, les chevaux ? » L’enseignante avait trouvé la façon de rassurer la petite fille tout en disant au garçon que, si lui-même avait envie de faire du poney, il pouvait s’y autoriser.
Est-il parfois pertinent, sur le plan pédagogique, de séparer filles et garçons dans les activités physiques et sportives ?
La vraie question est : faut-il accepter de passer par des étapes intermédiaires permettant de travailler tranquillement, en confiance. Cela ne doit pas être systématisé ni perdurer, mais, en effet, il peut y avoir un intérêt à offrir aux filles un temps de pratique plus important, afin de leur permettre de progresser sur le plan moteur, pour ensuite s’investir pleinement dans une pratique mixte. Cela revient à consacrer davantage de temps à des élèves moins avancés, filles ou garçons, quelle que soit la matière.
En somme, proposer des groupes de niveau pouvant recoupant en partie, mais pas systématiquement, la différence filles-garçons…
Oui, à ceci près que je préfère le terme de « groupe de besoin » ou « de réassurance », voire « de volontaires ». Volontaires pour travailler des gestes techniques, sur des temps brefs qui peuvent être des préalables à des temps d’apprentissage en grand groupe.
Les sports collectifs sont souvent problématiques. Quel type d’organisation peut-on privilégier pour que la coopération entre élèves ne pâtisse pas d’un esprit de compétition qui renvoie les filles à un rôle subalterne ?
Les jeux et les sports collectifs sont un point d’achoppement, parce qu’il il y cette idée du gain de l’équipe. Quel est l’intérêt éducatif du jeu collectif quand un seul et même joueur marque tous les points ? Il faut valoriser la coopération, faire en sorte que tous les rôles soient assumés par toutes et tous, de manière sereine, sous le regard attentif de l’enseignant.e. On peut par exemple établir des roulements, en changeant au fur et à mesure de la séance une partie des équipes, pour éviter que s’y opère une « optimisation » qui nuirait à la coopération entre tous, ou que le jeu repose sur des affinités entre deux ou trois joueurs.
La féminisation du corps enseignant a-t-elle un impact sur l’évolution des pratiques en EPS et la façon d’y décliner la mixité ?
On en revient à l’héritage culturel d’enseignantes qui n’ont pas forcément eu accès à la même diversité de pratiques que leurs collègues hommes, et notamment des pratiques tournées vers la performance. Mais qu’on soit un homme ou femme, si on n’a pas l’occasion de se former et de réfléchir sur ses pratiques, on reproduit les mêmes recettes, sans progresser dans ses compétences et ses façons de faire. Enfin, il y a aussi la question des intervenants territoriaux, qui prennent en main la classe sans avoir bénéficié de la même formation en éducation que les enseignant.es. Sur la foi de témoignages et de ce que j’ai moi-même observé, lorsqu’il y a ce type de prise en charge, la prise en compte de la mixité et de l’égalité filles-garçons peut poser question.