Dans la foulée de la convention signée avec le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (Clémi), vendredi 17 novembre au Salon de l’éducation, une classe Usep de CM2 a participé à une projection-débat de «La conquête de l’espace», documentaire où l’ex-internationale de football Nicole Abar met en évidence les inégalités filles-garçon dans les apprentissages moteurs à travers des images de cours d’EPS et de cours de récréation. De quoi faire réagir les 24 élèves de l’école Saint-Ouen de Paris, qui avaient chacun une question.

« Pourquoi avez-vous fait ce film ? » Une fois rallumées les lumières de la salle 747 du Palais des expositions de la porte de Versailles, la question a fusé des lèvres de Pierre, choisi comme premier interviewer parce qu’il est l’un des plus timides de la classe. La réponse fut tout aussi directe : « Pour vous, les enfants ! » Et surtout les filles, qui à voir les images saisies sur le vif à vingt ans de distance, n’ont guère gagné de terrain dans les cours de récréation et restent à l’écart des parties de football improvisées qui en occupent le centre. Et quand en éducation physique et sportive les matchs sont mixtes, elles demeurent trop souvent spectatrices du jeu, pour n’avoir pas eu l’occasion d’acquérir les mêmes capacités motrices que les garçons. 

C’est ce que Nicole Abar s’efforce d’expliquer, dans ce documentaire d’une demi-heure puis en réponse aux questions préparées en classe : pourquoi avoir choisi le football, et pour titre du film La conquête de l’espace ? Pourquoi les filles prennent-t-elles moins de risques en sport ? Et a-t-elle déjà été traitée de « garçon manqué » ?

L’ancienne joueuse répond en évoquant son parcours, qu’elle éclaire en parlant de façon imagée du poids des stéréotypes de genre et des différences dans l’éducation des filles et des garçons. C’est la trajectoire atypique d’une petite fille de parents immigrés qui, un jour, se retrouve à jouer les bouche-trous dans une équipe de garçons et se révèle être une surdouée. La voilà qui intègre à 17 ans la sélection nationale et l’équipe de Reims, avec laquelle elle remporte le premier de ses 8 titres de championne de France : « Le football m’a rendue phénoménalement heureuse ! » Nicole Abar, qui à dix ans se fit appeler Nicolas pour jouer en club, raconte le bonheur d’évoluer sur un terrain balle au pied, un bonheur que pour elle chaque petite fille devrait avoir la possibilité de connaître : « Voilà pourquoi j’ai intitulé mon film La Conquête de l’espace. Sautez, courrez, sortez au dehors, prenez des risques ! En EPS ou dans votre association sportive scolaire, vos enseignants vous donnent l’espace pour vous exprimer, alors prenez cette place, votre place ! »

Quand Mahira lui demande ce qu’elle préfère dans le sport, Nicole Abar insiste sur ces « sensations » : « Celle de son corps dans l’espace, la vitesse, et aussi le sentiment de réussite, la ténacité récompensée et le partage avec les copains et les copines ». La dernière question incombe ensuite à Lola, qui hésite presque à la poser, car à ce stade du débat la réponse est un peu attendue : « As-tu rencontré des problèmes dans le sport parce que tu étais une fille ? ». Mais elle a bien fait de la poser quand même, tant l’épisode conté par l’ancienne joueuse est édifiant : il y a 25 ans, au lendemain de la Coupe du monde 1998, son équipe du Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine) était tout simplement évincée de son terrain pour faire de la place aux garçons accourus en grand nombre après la victoire des Bleus. Une époque révolue, peut-on espérer, même si le film de Nicole Abar rappelle qu’il y a encore du chemin.

 

« Un compte rendu dans le journal de l’école et une interview pour la webradio »

L’enseignante, Delphine Pereira Sousa, explique comment le débat a été préparé et sera exploité en classe, et dit se reconnaître dans les témoignages du film. 

Préparation. « Pour préparer le débat, nous avons visionné le film deux fois, la deuxième avec des arrêts sur image pour élaborer une liste de questions. Les unes étaient plus ciblées sur la réalisation du film, les autres sur le parcours de Nicole Abar. Les deux duos d’élèves qui l’ont ensuite interviewée étaient des volontaires qui avaient déjà collaboré en CM1 à la webradio de l’école. »

Exploitation. « Nous avons fait un retour en classe dès le lundi : les enfants étaient ravis de l’expérience, et même très fiers. Ils avaient bien retenu les réponses de Nicole Abar et nous avons entamé l’écriture de l’article de compte rendu pour le journal de l’école. Nous avons utilisé la technique de la pyramide inversée, en répondant aux cinq questions de base (qui, quand, où, quoi, comment), avant d’entrer dans les détails. Chacun a aussi travaillé sur « l’attaque » de l’article, que nous finaliserons après une mise en commun des propositions des uns et des autres et la sélection des photos : un travail personnel qui aboutit à une production commune. »

Filles-Garçons. « Dans le film, les témoignages d’enseignants invités à commenter les images m’ont beaucoup parlé. À l’école, nous avons beau veiller à déconstruire dès le CP les stéréotypes de genre en expliquant aux filles comme aux garçons que rien ne leur est interdit, dans la cour de récréation c’est intangible : les uns sont au centre et les autres en retrait. En EPS, cela dépend de l’activité, mais dans les sports collectifs on sent bien que les garçons dominent le jeu. Ils prennent davantage de risques, se montrent plus persévérants et plus engagés dans l’activité. »