Destination Fort-de-France, Martinique ! Les concurrents de la Transat Jacques-Vabre emmènent dans leur sillage plus de 250 classes Usep engagées dans la course virtuelle dont l’un des classements leur est réservé. À la veille du départ, donné dimanche 7 novembre, les enfants de trois associations normandes sont allés à la rencontre des duos de skippers et de leurs impressionnants bateaux, sur les pontons du port du Havre (Seine-Maritime).
Après le Vendée Globe l’an passé, c’est la 15e édition de la Transat Jacques-Vabre qui sert de support à la découverte virtuelle de la course au large proposée dans le cadre du partenariat entre l’Usep et la Fédération française de voile. Les classes inscrites dans la compétition propre aux associations Usep navigueront sur des voiliers de classe Imoca1 et la durée de la traversée est estimée entre 14 et 17 jours, avec un détour par l’archipel brésilien de Fernando de Noronha, avant de cingler vers la Martinique. Cela les contraindra à passer deux fois l’équateur et le fameux « pot au noir », soit deux à trois semaines durant lesquelles les équipages d’écoliers vivront la course à travers les choix de cap et de voilure et leurs apprentissages scolaires, des sciences à l’expression écrite et orale en passant par l’histoire-géo, les maths et la maîtrise des outils informatiques.
Le spectacle des pontons
Sans attendre le retour en classe, 60 enfants de trois associations normandes sont aussi allés à la rencontre des skippers, mercredi 3 novembre, quatre jours avant le départ. Ils venaient de l’école Joliot-Curie de Blainville-sur-Orne, près de Caen (Calvados), de l’école Caubrière de Honfleur, juste de l’autre côté du pont de Normandie, et de l’école Massillon du Havre toute proche.
La déambulation le long du bassin accueillant les 79 bateaux engagés, des monocoques de Class 40 aux immenses trimarans de la catégorie Ultime, était déjà un spectacle en soi : une ruche à ciel ouvert où les équipes techniques s’affairent sous les voiles aux couleurs des sponsors. Depuis le quai, la foule des curieux envie les quelques privilégiés invités à monter à bord. Parmi eux figurent les enfants de l’Usep, qui par petits groupes sont accueillis sur le voilier Apivia du duo Charlie Dalin–Paul Meilhat.
Bienvenue à bord !
Sur le pont, Louise, responsable des partenariats, les interroge sur le vocabulaire de la voile. Elle n’a pas affaire à des néophytes : les CM1-CM2 de Blainville ont révisé avec l’escape game de la Transat et certains ont l’expérience du Vendée Globe suivi l’an passé avec leur enseignante de CE2. « Je l’ai même fait sur VirtualRegatta ! » s’exclame Martin, qui sèche néanmoins sur le poids des voiles : de 30 à 80 kg, et jusqu’à 150 pour la grand-voile. Une fois remisées dans leur sac, celles-ci sont également utiles pour « matosser », c’est-à-dire déplacer les poids sur le bateau pour en améliorer l’équilibre.
Deux membres de l’équipe technique se faufilent à ce moment-là entre les enfants pour disparaître aussitôt à leurs pieds dans une trappe, mystérieuse cavité à laquelle les petits curieux ne manquent pas de jeter un coup d’œil au passage, avant de questionner les deux hommes lorsqu’ils en ressortent. Qu’allaient-ils donc y faire ? « Voir si la voile rangée hier soir a bien séché et un dernier petit check à la recherche d’une possible microfissure, histoire de se rassurer », expliquent volontiers Baptiste et Thomas, respectivement ingénieur et responsable « composite » (matériaux).
« Fast but not too furious »
Tout ce petit monde se serre ensuite dans la cabine, poste de commandement où le navigateur tient la barre à l’abri des embruns. Au milieu trône le « moulin à café » et ses manivelles, prolongé par les winchs permettant de multiplier par huit la force des bras pour manœuvrer la voilure. Scotché à portée de main, un grand couteau pour couper un « bout » en cas d’urgence.
Quand il dort ou est occupé ailleurs, le skipper confie la barre à son pilote automatique, boitier aux boutons colorés fixé sur la cloison parmi d’autres écrans où s’affichent des informations sur la météo et la marche du bateau, sa position sur les cartes marines et les images des trois caméras extérieures. Comment alors ne pas éprouver alors le sentiment d’être dans la course, au cœur de la machine, en découvrant la devise écrite au marqueur noir par Charlie Dalin pour ne pas se laisser griser : « Fast but not too furious ». À méditer quand les Blainvillois, lecteurs de Harry Potter, seront aux manettes de leur Express Joliot-Curie 9 ¾.
Trois semaines de mer
En plus de cette exploration, les enfants ont aussi tiré des bords dans le bassin de commerce situé de l’autre côté du pont à bascule qui, d’ici peu, se relèvera pour laisser passer la flotte. Pour beaucoup, c’était la première fois qu’ils montaient sur un voilier. Et si à la rentrée les CM2 de l’école Massillon ont bénéficié au même endroit d’un cycle voile de 8 séances, ils ne sont pas blasés : « Un First Class 7.5, c’est la catégorie au-dessus de l’Optimist, et le transbordage depuis le Zodiac est tout une aventure », observent leurs enseignants, Lionel Jallet et Aurélie Lebas.
Avec eux, les enfants n’embarquent pas pour 20 minutes de cabotage mais trois semaines de haute mer. Une demi-heure chaque matin pour faire le point, puis une thématique maritime commune aux apprentissages : l’étude de la vitesse, de la proportionnalité et un travail sur les graphiques en mathématiques, et en français une lecture suivie de 20 000 lieues sous les mers et des poésies telles qu’Oceano Nox du père Hugo, L’Albatros de Baudelaire ou La mer s’est retirée du contemporain Jacques Charpentreau.
« La course arrivant cette année en Martinique, en géographie nous nous intéresserons aux Antilles, et en histoire à l’esclavage et au commerce triangulaire », précise Lionel Jallet, qui s’appuie depuis longtemps pour ses enseignements sur les courses au large, Transat, Route du rhum ou Vendée Globe. Ce programme sera complété ultérieurement par la visite de la Maison de l’armateur, joyau du patrimoine havrais. Ses élèves fabriqueront aussi un jeu de bataille navale en s’aidant d’un kit pédagogique.
En attendant, dans les jours qui viennent, c’est une pacifique compétition virtuelle qui réunira plus de 250 classes Usep de toute la France2. Avec ce qu’il faut de savants calculs pour choisir le bon cap, et de strophes rimées pour se donner du cœur en hissant la grand-voile. Ph.B.
(1) Notamment caractérisés par une longueur 18,28 m (60 pieds pour les Anglais).
(2) Sur un peu plus d’un millier en tout.
En bref
Nouvelle convention. En marge de cette journée coordonnée par le comité régional Usep de Normandie, Véronique Moreira et Jean-Luc Denéchau ont signé une nouvelle convention de 4 ans portant notamment sur le programme « du virtuel au réel », la conception de rencontres voile et la formation. Auparavant, la présidente de l’Usep et son homologue de la Fédération française de voile avaient pris la parole sur la « grande scène » du village départ aux côtés de la médaillée olympique Aloïse Retornaz et de Paul Meilhat, qui porte le projet L’échappée bleue, avant de se prêter à une photo-souvenir avec les enfants.
Initiatives Cœur. En début de journée, les enfants de l’école Massillon du Havre ont remis un chèque de 315 € à Samantha Davies, skipper du bateau Initiatives-Cœur et porte-drapeau de l’association Mécénat Chirurgie cardiaque, consacrée au recueil de fonds pour faire opérer des enfants souffrant de malformation cardiaque. Cette somme a été réunie lors de la course solidaire organisée spécialement le 12 octobre au sein de l’école.