« Comment augmenter et diversifier la pratique sportive des filles ? » C’était le thème du débat organisé mardi 19 mars par la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, mais aussi la question à laquelle les enfants d’une classe de CM2 d’une école Usep d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) étaient invités à répondre en formulant des propositions. Récit d’un après-midi de travaux en groupe où les législateurs en herbe se sont montrés à la hauteur de leurs responsabilités.
Certes, ce n’est pas le Palais Bourbon mais un bâtiment voisin de la rue de l’Université. Néanmoins, quand du haut de ses dix ans on pénètre à l’Assemblée nationale en début d’après-midi, on ressent tout particulièrement ce mélange d’effervescence et de solennité, entre le ballet des élus et des attachés parlementaires et le passage par les portiques de sécurité.
Mais bien vite les CM2 de l’école Firmin-Gémier d’Aubervilliers se retrouvent ensuite trois étages plus bas, dans la bulle de silence de la salle Victor-Hugo, où ils vont passer l’après-midi.
La ministre et la présidente de l’Assemblée
Leur enseignant leur a-t-il expliqué que tout à l’heure la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, descendra de son « perchoir » pour introduire avec Aurore Bergé, ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, ce colloque organisé par la Délégation de l’Assemblée nationale en charge de ce sujet ? Et qu’ils assisteront avec toute la salle à la projection du film La conquête de l’espace, où l’ex-footballeuse Nicole Abar pointe les inégalités filles-garçons en EPS et dans les cours d’école ? Mais pour l’heure ils doivent plancher par groupes de quatre sur la problématique du jour : « Partager le terrain : comment augmenter et diversifier la pratique sportive des filles ? »
Des duos de coachs féminins composés de membres de l’association Egal Sport1 et d’éducatrices montées de Toulouse avec Nicole Abar les accompagnent dans leur réflexion. Et d’abord, font-ils du sport en dehors de l’école ? Certains oui. Imène pratique la natation et le handball, et Zakarya le football, mais la jeune Qimu et Sofiane, d’une nature tout aussi réservée, n’en font pas. Il est aussi question de la rénovation de la cour de l’école, à présent dotée d’espaces en herbe et de couloirs d’athlétisme aux couleurs appétissantes, mais qui a perdu au passage ses buts de hand et ses panneaux de basket.
Foot, chat, rugby et MMA
Ah, le foot à la récré : depuis leur fauteuil, les enfants rejouent à leur façon le film de Nicole Abar. « Le foot avec les filles, c’est plus fun. Ça ne nous dérange pas et ça évite les histoires », résume Zakarya. Pourtant, si ça faisait tant d’histoires, c’est bien parce que les filles étaient tenues à l’écart du jeu. Résultat, l’an passé les ballons étaient interdits. « À cause des garçons perturbateurs d’une autre classe », plaide Imène. Peut-être, mais il est tout aussi révélateur que Zakarya fréquente le city-stade avec ses copains ou son frère quand les filles, Imène comprise, ne s’y aventurent guère.
Et pas d’épervier ni de balle au prisonnier ? Non, du foot, même en l’absence de « cages ». Et aussi des parties de « chat ». Mais pas d’autres jeux, même s’ils pourraient fort bien émettre des propositions via « le tableau de libre expression et la boîte à idées » mis à disposition par leur enseignant.
Et savez-vous s’il y a des femmes qui font du rugby ? « Oui, elles peuvent tout faire », répond avec assurance Alassane dans le groupe voisin. En revanche, toutes et tous sèchent quand il s’agit de donner le nom de sportives connues. « Les sportifs sont plus célèbres », constate Madeleine, avant que la discussion ne dérive vers le MMA, car Maïssa fait du karaté avec sa grande sœur, qui s’essaiera l’an prochain à ce mix brutal de tous les sports de combat.
Un brin perplexe, la coach enchaîne en demandant aux enfants s’ils savent ce qu’est un stéréotype. « Une maladie ? », hasarde un garçon. Pas exactement, mais ça se soigne, en tant qu’idée reçue sur les rôles assignés aux hommes et aux femmes.
« La révolution des femmes »
Vient ensuite le temps de l’élaboration des propositions et de leur formalisation, avant une pause goûter et l’ouverture officielle du colloque, suivie du film de Nicole Abar.
Enfin, sur le coup de 17h45, le pupitre est à eux. Et ça commence très fort avec le groupe de Madeleine et Maïssa, très convaincantes dans la présentation d’un texte intitulé « La révolution des femmes ».
Dans l’article 1, il est question d’« introduire un groupe mixte dans tous les sports en loisir ou en compétition », et dans l’article 2 de « punir ou sanctionner les clubs qui ne respectent pas la première proposition ». Rires dans la salle, estomaquée d’un tel aplomb. L’article 3 invite ensuite l’Assemblée nationale à travailler sur l’égalité filles-garçons « pour que les hommes arrêtent d’être des gros machos » et l’article 4 rappelle qu’« il ne faut pas croire que les femmes ne servent qu’à faire des bébés, la cuisine, c’est discriminatoire. » Ça, c’est envoyé ! L’article 5 exhorte enfin à « mettre plus de femmes en valeur dans les médias et les réseaux sociaux pour qu’elles soient mieux respectées ». Et Maïssa de conclure dans un style déjà vu à la télé : « Merci de nous avoir écouté, et vive la France ! » Applaudissements nourris en tribune et dans les travées.
Distribution des prix
D’emblée la barre est placée très haut, mais les autres groupes se montrent ensuite à la hauteur de cette tonitruante entrée en matière, avec des propositions volontiers plus concrètes.
Sous le titre-programme « À la récré, jouer en mixité, c’est le bonheur assuré », le groupe 2 propos » de « faire plus de sport, en équipe mixte », grâce à des équipements et du matériel comprenant plots, cordes et autres ballons, et avec aussi des coachs spécialisés pour pratiquer « danse, roller, skate », et des « navettes » pour se rendre sur les lieux de pratique. Les moyens, c’est le nerf de la guerre…
Le groupe 3 a eu l’idée d’un documentaire où les enfants joueraient à la fois leur propre rôle et celui des parents, pour mieux défaire les stéréotypes. « Un film gratuit, à diffuser à la télé et sur les réseaux sociaux. » Au risque de concurrencer celui de Nicole Abar ?
De son côté, la groupe 4 a inventé le « chamixballe », discipline innovante pratiquée en équipes mixtes de 4 à 6 joueurs sur un terrain de hand : une variante de la passe à dix consistant à aller poser la balle dans un cercle et où l’équipe qui défend marque un point lorsque le porteur de balle est touché à l’épaule. Les pédagogues de l’Usep n’auraient pas trouvé mieux.
Enfin, le groupe 5 promeut le « relais équilibré », jeu mixte où l’on transporte sur la tête une bassine remplie selon les saisons d’eau, de sable, de feuilles mortes ou de neige. Un jeu qui aurait toute sa place à Intervilles ou Koh-Lanta, surtout quand le parcours s’effectue à cloche-pied.
Table ronde
Tous furent chaudement félicités par le jury2, qui après s’être retiré une dizaine de minutes décerna un prix à chacun : prix « Universel »,« Média », « Innovation », « de la République » et « de la Délégation ».
Il était temps de reprendre le métro pour Aubervilliers et de laisser la place à la table ronde venant clore la journée, avec la participation de la présidente de l’Usep, Véronique Moreira3. Le thème : « Quels leviers pour inciter les femmes à pratiquer du sport régulièrement dès le plus jeune âge ? ». Un sujet déjà bien défriché par la jeune génération.
(1) Dont la co-présidente Patricia Costantini. (2) Dans lequel figurait Romain Zuliani, président de l’Usep 93 et élu national. (3) Y ont également participé Nicole Abar, Marie Barsacq (directrice exécutive impact et héritage de Paris 2024), Manon Lanza (influenceuse sport) et Édith Maruéjouls (géographe spécialiste du genre). L’ensemble de la journée était animé par Véronique Riotton, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Des citoyens sportifs et un enseignant
Invité à s’exprimer sous les vivats de ses élèves, Jean-Philippe Deloche s’est dit ému et fier d’eux. Mais leur mérite est aussi celui d’un enseignant qui valorise autant l’EPS et l’activité physique que culture du débat.
« J’essaie de respecter les 3 heures officielles d’EPS et nous avons souvent en classe des discussions sur la mixité à partir de ces cours. Des discussions plus que des débats, car il n’y a pas vraiment de désaccord.
Nous sortons par exemple d’un cycle handball où les garçons ont vite compris que, pour faire circuler le ballon en passes courtes, ils devaient s’appuyer sur les filles. Et dans l’ensemble mes élèves sont très sportifs, sans doute plus que la moyenne des écoliers : filles comme garçons, beaucoup pratiquent le hand, l’escalade ou le judo en club. Même si la grosse majorité, c’est foot…
L’Assemblée nationale, ils connaissaient un peu. Je leur avais montré le bâtiment lors d’une sortie à Paris et, le 8 mars, nous avons visité l’hémicycle à l’invitation du député de notre circonscription. Eux qui connaissent surtout le président de la République, voire le Premier ministre, ont appris quelles étaient les fonctions des parlementaires tout en découvrant les ors de la République, ce qui est toujours gratifiant. Le fait qu’un papa accompagnateur travaille dans le bâtiment et ait effectué des travaux ici a également pu contribuer à démythifier le lieu !
Nous avons préparé la journée avec les ressources Usep pour l’évènement Les Enfants font leurs Jeux. Les enfants ont par exemple appris à connaître quelques sportives comme Marie-Jo Pérec ou Clarisse Agbegnenou. Ils ont aussi relevé les petits défis sportifs proposés et nous participons ce jeudi à la grande rencontre handisport de l’Usep Île-de-France. Nous allons donc reprendre le métro, direction porte de Vanves cette fois ! »