Sorti au cinéma en 2016, « La Couleur de la victoire » relate l’exploit du sprinter noir américain Jesse Owens, quadruple médaillé d’or aux JO de Berlin 1936. Mis gratuitement à la disposition des écoles et accompagné de ressources pédagogiques, le film est aujourd’hui le support de débats sur les valeurs de l’olympisme et les discriminations. Chargée de mission sport scolaire dans les Landes, Delphine Grellier-Léglise explique comment elle anime ces projections pour les classes Génération 2024, notamment lors de la Semaine olympique et paralympique.

Delphine Grellier-Léglise, au programme de la Semaine olympique et paralympique dans les Landes figure une projection-débat du film La Couleur de la victoire à l’école de Bégaar, un village situé entre Dax et Mont-de-Marsan. Est-ce un type d’animation dont l’Usep 40 est familière ?

Oui, depuis qu’en mars dernier Christian Cordier, qui coanime l’association 7332 et a coréalisé le dossier pédagogique de ce projet avec l’académie de Créteil, est venu présenter le film dans des écoles. J’ai assisté à l’une de ces projections-débats et échangé avec lui sur la manière de les mener. Depuis, nous projetons systématiquement le film en ouverture des classes olympiques que nous organisons en mai-juin sur une semaine. Je le propose aussi aux écoles labélisées Génération 2024, comme celle de Bégaar. En tout, en 2021-2022, une trentaine de classes visionneront et débattront du film.

Est-ce vraiment un bon film ? Et se prête-t-il si bien au débat ?

Ah oui, c’est un excellent film et un excellent support de débat, même s’il peut apparaître un peu difficile d’accès pour des CM1-CM2. Le dossier pédagogique de l’association 733 a beau proposer des axes de travail différenciés pour le cycle 3 (jusqu’en 6e) et le cycle 4 (de la 5e à la 3e), avec des écoliers il est en effet indispensable d’installer le cadre historique des années 1930, les discriminations raciales, le nazisme… Une croix gammée, un stade, un athlète noir, ces images interpellent les enfants et leur permettent de faire des hypothèses sur ce cadre historique et sur le contenu du film. Puis, pendant la projection, j’interrompt plusieurs fois le film lorsqu’il faut décrypter des attitudes, des signes ou des symboles, afin que les enfants verbalisent. Je m’assure ainsi de leur compréhension.

Par exemple ?

Quand deux athlètes juifs sont évincés du relais américain, c’est un moment très fort, mais qui exige un minimum de références pour en saisir la portée. Pour le reste, concernant les valeurs de l’olympisme que sont l’amitié, l’excellence et le respect, cela coule de source, surtout pour les élèves de classes Génération 2024 souvent déjà sensibilisés à ces thèmes. Pour l’amitié, je m’appuie sur celle que se manifestent Jesse Owens et l’Allemand Luz Long lors du concours du saut en longueur, mais aussi celle qui se construit entre athlètes blancs et noirs au sein de l’équipe américaine. Un lien très fort se tisse également entre Jesse Owens et son entraîneur, dont le rôle est déterminant. La notion d’excellence, de dépassement dans la compétition, est pour sa part évidente dans le film. Quant au respect, c’est celui qui existe entre adversaires, mais que l’organisation des Jeux remet en cause.

Comment abordez-vous l’épisode fameux du refus de Hitler de serrer la main du champion, dont on sait que c’est une légende ?

Il est abordé sous l’angle de la propagande et de l’intervention de Joseph Goebbels, qui dans le film demande à la cinéaste Leni Riefenstahl de couper des images montrant la victoire d’un athlète noir, ce qu’elle refuse. J’explique aux enfants que l’épisode est fictif mais qu’il reflète la réalité du racisme d’État du régime nazi.

Le film n’est-il pas toutefois trop long ?

La version mise à notre disposition est plus courte que la version intégrale. Malgré tout, en effet 1 h 30 cela peut sembler long et certains élèves pourraient décrocher, d’où les arrêts sur image. Généralement, la projection dure deux heures avec les interruptions.

La matière est aussi très riche, presque trop…

C’est vrai, et parfois je suis moi-même frustrée : une demi-journée, c’est trop court ! C’est pourquoi je fournis aux enseignants le document de support au débat réalisé par l’Usep sous forme de diaporama, qui en toute objectivité est très bien conçu. On s’y intéresse d’abord à l’athlète, à sa famille, à ses entraîneurs, puis on élargit au cadre historique, avant d’aborder les discriminations et les valeurs de l’olympisme… J’échange aussi toujours avec les collègues en amont, je leur explique comment va se dérouler la projection et leur présente les outils pédagogiques à leur disposition. Nous faisons ensuite un point à la fin de la séance et ils poursuivent l’exploitation en classe.

Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui souhaiterait se lancer seul dans l’aventure ?

Exactement les mêmes conseils, c’est-à-dire de s’appuyer à la fois sur le dossier pédagogique de l’association 733 et sur le document support de l’Usep. Les indications du premier sont précieuses, et la trame proposée par l’Usep directement utilisable. Et j’ajouterai que ça vaut vraiment la peine !

(1) Delphine Grellier-Léglise occupe ce poste à mi-temps depuis sa création en septembre 2020 et effectue son complément de service comme « titulaire zone de remplacement ». Elle préside par ailleurs le comité Usep des Landes depuis 2016.

(2) 733 est le numéro de dossard de Jesse Owens aux Jeux olympiques de Berlin 1036.

Deux outils confectionnés par l’Usep

Pour faciliter l’organisation par les professeurs des écoles de temps de débat à partir de la projection de La Couleur de la victoire, l’Usep a produit deux outils. Le premier est un script qui liste les séquences clés du film, avec leur « timing », un bref résumé et l’identification des thèmes propres à susciter le débat, et des questions permettant de le lancer. Le second est support de débat sous format PowerPoint. Intitulé « Jesse Owens : un athlète, un homme, un champion », il s’appuie sur cette triple dimension du personnage pour engager la réflexion sur trois thèmes présentés en ces termes : « Compte tenu de ce qui se passe aux USA à cette période [la ségrégation raciale et la discrimination des Noirs], Jesse Owens doit-il aller aux Jeux de 1936 pour représenter son pays ? » ; « Participer aux JO de Berlin dans l’Allemagne nazie, est-ce que cela va servir la propagande de Hitler ? » ; « Courir le relais 4 X 100 m à la place d’un athlète américain retiré de l’équipe car il est de confession juive, est-ce approuver la décision du comité olympique des USA ? » Des questions qui dépassent de loin la simple exaltation des valeurs olympiques.