Le navigateur Paul Meilhat vient de rejoindre le club des parrains et marraines de l’Usep. Avant d’embarquer début novembre pour la Route du Rhum, dont il est le dernier vainqueur en catégorie Imoca, il raconte son parcours de marin et explique en quoi ce nouveau rôle fait écho à son engagement avec l’association environnementale Surfrider et son projet L’Échappée bleue à destination des enfants.
Paul Meilhat, vous souvenez-vous de la première fois où vous êtes monté sur un voilier ?
Non, parce que je suis né un 17 mai et que j’ai passé mon premier été avec mes parents sur un bateau, en Bretagne… Il y a aussi une traversée vers la Corse qui précède mes premiers souvenirs. Ensuite, j’ai pris la barre d’un bateau pour la première fois vers 8-9 ans.
Quand avez-vous décidé de vous consacrer à la course au large ?
Vers 27-28 ans. J’en rêvais depuis toujours, sans l’envisager comme un métier. D’ailleurs, c’est d’abord une passion. Mon métier, c’est de porter un projet d’entreprise autour de la voile.
Qu’avez-vous fait comme études ?
J’ai passé un Bac S – maths – et suivi ensuite un cursus en Sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) pour devenir professeur d’EPS. Mais c’était un environnement trop fermé, trop routinier pour moi. Alors j’ai créé ma micro-entreprise pour proposer de l’entraînement et des formations dans le domaine de la voile. J’ai le goût de transmettre, mais pas dans un cadre contraint. J’en ai suffisamment souffert à l’école, moi qui avais besoin d’apprendre dans la liberté et l’expérience. C’est le sens de L’Échappée bleue, le projet que j’ai lancé en 2019 auprès des enfants.
C’est aussi dans l’esprit de l’Usep…
Je sais, et j’ai toujours été friand des activités extra-scolaires et du sport à l’école. Je connais d’autant mieux l’Usep que ma mère et ma sœur sont enseignantes dans le primaire. J’ai été scolarisé à Saint-Germain-en-Laye, puis à Jouy-le-Moutier, dans le Val-d’Oise, jusqu’au début du lycée.
Derrière un départ de course, il y a la recherche d’un sponsor, la préparation d’un bateau, la relation aux médias : vivez-vous cela comme une contrainte ?
Pas trop. La particularité de la voile, c’est qu’on fait tout ce travail avant : une fois en mer, on n’a plus de contact avec le public et son sponsor, à part quelques photos ou « visios ». C’est ce que je considère comme mon « métier ». Et puis, ça n’aurait pas de sens de mettre tant d’argent dans la construction d’un bateau pour naviguer sur les océans sans partager l’aventure avec le public.
Sur un an, combien de jours passez-vous en mer ?
En moyenne, c’est un tiers de navigation, un tiers de relations partenaires-médias et un tiers de préparation technique. Mais cette année, avec la mise en chantier de mon bateau, c’était 80 % de mon temps.
Vous vous êtes engagé pour la protection de l’environnement : est-ce le cas de tous les navigateurs ?
Non, mais ça l’est beaucoup plus que dans d’autres sports. Comme les montagnards, nous évoluons dans un milieu naturel et sommes davantage sensibilisés à la fragilité des milieux que les autres sportifs ou que l’ensemble de la population. À voyager sur toutes les mers du monde, nous éprouvons aussi le « syndrome de l’astronaute » : nous prenons du recul par rapport à notre civilisation et à la fragilité de la planète.
Depuis quand êtes-vous ambassadeur de l’ONG Surfrider ?
Depuis 12 ans, à travers des ateliers dans les écoles autour d’opérations de nettoyage, en expliquant l’origine des pollutions. J’ai également représenté Surfrider à la commission européenne à Bruxelles, à l’Assemblée nationale ou au Sommet du G7 à Biarritz en 2019, pour faire avancer la législation, comme sur l’interdiction des sacs en plastique ou, plus récemment, des couverts jetables.
Et l’empreinte écologique de votre activité ? Vous venez de faire construire un bateau…
C’est clair, construire un bateau représente un coût en bilan Carbone. Aussi, l’idée est de l’amortir sur le long terme, en le gardant le plus longtemps possible. Nous l’avons également fait construire dans des moules existants, ceux du Linked Out de Thomas Ruyant, ce qui nous a fait gagner 30 % sur l’analyse de cycle de vie. Dans la mesure du possible, nous faisons aussi appel à des matériaux naturels : des parties sont en lin. Le challenge est d’aussi d’éviter d’avoir recours en course aux énergies fossiles, c’est-à-dire produire notre électricité tout en solaire et avec un hydro-générateur, sans consommer de gas-oil. Il faut également savoir que si la construction d’un Imoca pèse 300 à 400 tonnes de carbone, cela ne représente que 10 % de l’ensemble du projet sportif, une fois pris en compte la logistique et les déplacements des gens. Là-dessus, nous faisons beaucoup d’efforts, avec du covoiturage et la mutualisation des moyens humains et techniques avec d’autres équipes. Et pour L’Échappée bleue, les séances d’apprentissage des enfants se déroulent près de chez eux. Puis, pour la journée à la mer, ils viennent en train.
Justement, comment est né ce projet de L’Échappée bleue ?
Il est né du désir de proposer du concret, à côté de mon rôle d’ambassadeur pour Surfrider. C’était en plein Covid, j’avais du temps, et les enfants plus besoin que jamais de sortir au grand air. Surtout ceux qui ne partent pas en vacances. Nous travaillons principalement avec des centres sociaux, mais aussi avec des classes de quartiers populaires, comme à Sevran1 en Seine-Saint-Denis.
Quel en est le principe ?
Les enfants découvrent la voile sur une base de loisir : une dizaine de séances avec des enseignants de la Fédération française de voile, et aussi des ateliers et des jeux de sensibilisation au développement durable avec des animateurs de Surfrider. Moi, je viens rigoler avec eux une après-midi. Quant à la journée à la mer, on s’efforce de la caler avec un départ de course au large pour que les enfants partagent leur expérience avec un skipper. Un skipper de leur région de préférence, pour qu’ils s’identifient à ce marin qui vient les voir pendant leur séance de voile et les fait ensuite visiter son bateau. L’objectif, c’est qu’ils s’intéressent à la course au large, tombent amoureux du milieu marin et comprennent que l’eau est vivante. Qu’ils apprennent qu’un litre d’eau de mer contient dix milliards de cellules, et deviennent des défenseurs éclairés de l’océan et de l’environnement.
Combien d’enfants touchez-vous ?
200 l’an passé, venus de 20 villes différentes, et le double en 2022, avec l’idée de renforcer peu à peu notre maillage. À l’arrivée de la Route du Rhum, il y aura ainsi une opération en Guadeloupe, la première outre-mer.
Vous avez aussi accepté de devenir « parrain » de l’Usep : comment envisagez-vous ce rôle ?
Je veux donner envie aux enfants de faire du sport. Si je peux faire la promotion de l’Usep et convaincre des entreprises de soutenir financièrement le sport scolaire et des projets comme L’Échappée bleue, je me sens utile. Parce qu’investir dans la pratique sportive des enfants, c’est les aider à grandir en meilleure santé et à devenir de meilleures personnes.
(1) Il s’agissait précisément d’une classe Usep de l’école Anatole-France.
Objectifs tours du monde
Né en 1982 à La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine), Paul Meilhat réside à Brest. Depuis sa participation en 2011 à la Solitaire du Figaro (6e), il a notamment terminé deux fois 2e de la Transat Jacques-Vabre (2017 et 2021, sur Apivia avec Charlie Dalin) et remporté la Transat en double 2014 et la Route du Rhum 2018 en catégorie Imoca (monocoque de 18 mètres). Il embarque cette année sur un tout nouvel Imoca, Biotherm, mis à l’eau le 31 août. Il ne jouera pas la « gagne » mais rodera son bateau dans la perspective de deux tours du monde : The Ocean Race avec un équipage mixte (départ d’Alicante le 15 janvier 2023), et le Vendée Globe en solitaire (départ le 10 novembre 2024).